par Marianthi Bella
Les événements historiques ont exercé une grande influence sur l’inspiration poétique de Paul Éluard. Mobilisé pendant la guerre de 1914, témoin de la guerre d’Espagne, Éluard incarne la figure du poète résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, avec le célèbre poème, Liberté, qui est devenu le symbole de la poésie de combat.
D’abord, le poète
a été profondément marqué par la Première Guerre mondiale (1914-1918). Le
défaitisme qui prédominait en Europe, après la guerre, l’a poussé à contester
toutes les valeurs traditionnelles reconnues par le monde moderne et à
participer au mouvement Dada (1920) de Tristan Tzara, qui proclamait un nihilisme
absolu. En 1922, il a adhéré au mouvement surréaliste qui lui proposait un
moyen de connaissance ouvert sur l’inconscient et un mode de rénovation du
langage poétique. C’était la période de l’écriture automatique et des collages
qui allait révolutionner l’art moderne. Ensuite, la guerre coloniale du Maroc
l’a déterminé à s’inscrire au parti communiste, d’ où il a été exclu quelques
années plus tard, en 1933.
Dans les recueils
de cette période Capitale de la douleur (1926), L’Amour La poésie (1929), La Vie
Immédiate (1932), le poète confond le réel et le surréel, le rêve et la vie. En
fait, sa poésie illustre la remarque de Breton, selon laquelle, surréalité et
réalité sont des vases communicants. Le thème prédominant de la poésie
éluardienne de cette période, c’est l’amour qui est plus qu’une relation
sentimentale entre individus. C’est un principe de recréation du monde, de
connaissance universelle. Personne mieux qu’Éluard, n’a associé l’expérience
amoureuse à l’expérience poétique. Il s'agit de la période proprement
surréaliste d’Éluard, qui se clôt en 1934 avec La Rose Publique.
Les années
1936-1937 confirment l’orientation nouvelle de sa pensée et de son inspiration.
Les voyages, les événements politiques et la montée du péril fasciste en Europe
l’amènent à des prises de position plus conscientes sur le rôle du poète parmi
les hommes. Alors, une nouvelle période poétique commence pour lui avec Les
yeux fertiles (1936), où il essaie d’exprimer la réalité concrète du monde. De
plus en plus la production poétique et l’engagement politique s’associent dans
son existence. En 1936, il est appelé à faire une tournée de conférences en
Espagne à l’occasion d’une rétrospective Picasso. Or, en juillet 1936, la
guerre civile a commencé en Espagne, Lorca a été fusillé à Grenade et la ville
de Guernica a été détruite par un bombardement aérien, en avril 1937.
Ces événements
marquent profondément le poète, qui ressent la nécessité de s’adresser à ses
contemporains, de les réveiller, de leur parler en face. Alors, il écrit des
poèmes de protestation contre la violence, comme Novembre 1936 et La Victoire
de Guernica, où il donne quelques faces de l’horreur de la ville bombardée.
Les femmes les
enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre
son sang
La peur et le
courage de vivre et de mourir
La mort si
difficile et si facile
En 1936, à
l’exposition internationale du surréalisme à Londres, il donne une conférence
sur la poésie, qui va devenir le texte L’évidence poétique où il écrit: «Le
temps est venu où tous les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu’ils
sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie
commune…». Un peu plus tard, dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938),
il soutient: «Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel, il nous faut
tous les mots pour le rendre réel…». Les recueils de cette période Cours
naturel (1938) et Donner à voir (1939) marquent une évolution de la poésie du
rêve et de la fiction, à la poésie du réel et de l’humain.
La Seconde Guerre
mondiale et l’occupation du territoire français par les allemands le mobilisent
à nouveau. Alors, il s’engage plus activement et plus violemment dans la lutte
pour la liberté et la dignité humaine. Sa poésie devient un instrument de
combat en prenant des formes plus populaires et plus faciles. Son langage est
simple, précis et accessible, ses images sont claires.
Il y a
des mots qui font vivre
Et se
sont des mots innocents
Le mot
chaleur le mot confiance
Amour
justice et le mot liberté
Mais,
contrairement à Aragon, son art ne rejette pas l’esprit du surréalisme, car
l’imaginaire, la transparence et la fluidité y sont toujours présents. Son
recueil au titre Poésie et vérité 1942 contient le poème Liberté qui est un des
chefs-d’œuvre de la poésie de la Résistance. Dans ce poème, la liberté se
confond avec ses joies les plus simples, avec l'air qu'il respire, avec son
coeur qui bat, en un mot, avec sa vie même. Elle est à la fois sa plus grande
passion et sa plus douce habitude. L’apparition du thème au dernier vers
seulement fait que le lecteur se demande s’il s’agit d’un poème d’amour ou d’un
poème patriotique. En fait, les deux inspirations ne s’opposent jamais chez
Éluard. L’amour de la femme et l’amour de l’humanité souffrante sont conciliés
admirablement.
Sur la
jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur
l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
…Je suis
né pour te connaître
Pour
te nommer
Liberté
Dans le même
recueil, le célèbre poème Couvre-feu décrit la réalité dure de l’occupation
allemande, le manque de liberté, l’absence de résistance et d'espoir.
Cependant, l’amour d’un couple dans la nuit parisienne devient une action
antimilitariste et le refus du désespoir.
Que voulez vous
la porte était gardée
Que voulez-vous
nous étions enfermés
Que voulez-vous
la rue était barrée
Que voulez-vous
la ville était matée
…Que voulez-vous
nous nous sommes aimés
C’est en 1942 que
les avions de RAF parachutent au-dessus des maquisards des milliers
d’exemplaires de Poésie et vérité 1942.
Ce recueil rend Éluard plus populaire que tous ses recueils surréalistes. À
cette époque le poète adhère à nouveau dans le parti communiste français,
officiellement interdit, et participe au développement des Éditions
clandestines de Minuit et à la fondation du Comité des écrivains en zone occupée.
En 1943, dans Les Sept poèmes d’amour en guerre s’exhalent des sentiments que
le poète partage avec le peuple français: la colère, l’indignation,
l’espérance. Cependant, l’amour reste
toujours la source de son dynamisme et le foyer du cœur.
Il nous
faut drainer la colère
Et faire
se lever le fer
Pour
préserver l’image haute
Des
innocents partout traqués
Et qui
partout vont triompher
Éluard fait la
guerre contre la guerre, mais sa guerre ne conduit pas à la servitude, elle
conduit à la liberté. En 1944, il publie le recueil Au Rendez-vous allemand qui
est le grand chant funèbre des otages et des fusillées. Avec ses poèmes, il
essaie d’aider l’âme française à se ressaisir et de répandre l’image d’un monde
juste et fraternel. Le poème Gabriel Péri est dédié à un martyr de la
Résistance, fusillé par les Allemands en 1941, qui écrivait, avant d’être
exécuté: «Je vais tout à l’ heure préparer des lendemains qui chantent». Dans
les derniers vers de ce poème, Éluard emploie l’impératif «tutoyons-le»,
«tutoyons-nous», qui appelle à une communion qui prend des dimensions
universelles.
Péri est
mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le
sa poitrine est trouée
Mais grâce
à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous
son espoir est vivant
Après la
Libération, Éluard est devenu poète national et glorieux et a reçu la Médaille
de la Résistance. Au milieu de ses activités politiques de cette époque, il a
continué à écrire des poèmes engagés mais dans un esprit humaniste. Ainsi, le
poème Tout est sauvé, qui appartient au recueil Une leçon de morale (1949),
commence par la description de toutes les catastrophes qui s’abattent sur le
monde et provoquent un pessimisme total: «Je suis né pour mourir et tout meurt
avec moi», «Tout est détruit». Mais à la suite, brusquement le poète renverse
les perspectives:
Rien n’est
détruit tout est sauvé nous le voulons
Nous sommes
au futur nous sommes la promesse
Voici demain
qui règne aujourd’hui sur la terre
Comme
intellectuel, Éluard a poursuivi le combat de la confiance en l’humanité en
faisant de nombreux voyages dans les pays éprouvés par la guerre (Italie,
Tchécoslovaquie, Yougoslavie). Ainsi, en 1949, il a visité la Grèce et a
parcouru les montagnes macedoniennes de Grammos et de Vitsi, où il est resté quelques jours auprès des partisans
grecs, «les héros de l’idéal le plus juste», qui poursuivaient le combat pour
un régime démocratique. Et jamais la jeunesse d'Éluard n'a pu paraître plus
grande que quand il décrivait celle de ces garcons et de ces filles dansant, le
fusil au dos, dans la nuit claire, autour d'un feu de camp qui symbolisait la
flamme de leur liberté. Cette noblesse de la Grèce en lutte, qui est aussi
celle de la Grèce éternelle, il l'a chantée dans les Poèmes politiques (Athéna,
La Grèce en tête). Mais aussi il l'a celebrée mieux encore dans Une leçon de
morale où la merveilleuse suite de poèmes, Grèce ma rose de raison.
Mille
morts ce pays a subi, mille morts
Et son
cœur plein d’amour
A trop
souvent battu dans un corset de fer
Paul Éluard n’a
jamais cessé de se battre pour une juste cause et de célébrer les valeurs qui
étaient toujours ses raisons de vivre, sans rejeter l’esprit et la forme du
surréalisme dont l’esthétique correspond à sa vision poétique du monde.
BIBLIOGRAPHIE
Éluard Paul,
Œuvres complètes (1913-1953), édition établie par Marcelle Dumas et Lucien
Scheler, éditions Gallimard (collection «Bibliothèque de la Pléiade»), Paris
1977.
Parrot Louis et
Marcenac Jean, Paul Éluard, éditions Seghers (collection «Poètes
d’aujourd’hui»), Paris 1979.
Raymond Jean,
Éluard, éditions du Seuil (collection «Écrivains de toujours»), Paris 1995.
Tsatsacou-Papadopoulou
Athanasia, «Paul Eluard: Le rêve, la vie», Bulletin scientifique de la Faculté
des Lettres, tome 14, Universtité Aristote de Thessalonique, Thessalonique
1975, p. 95-115.
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