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Δευτέρα 23 Οκτωβρίου 2023

Pénélope Delta (1874-1941) La pionnière de la littérature d’enfance et de jeunesse en Grèce

 



Par Marianthi Bella

Professeur du FLE

  

Les jeunes années et les premières influences

        Elle voit le jour en 1874 à Alexandrie, en Egypte . C’est le troisième enfant du riche marchand de coton Emmanuel Bénakis et de Virginie Horémis . Pendant la Guerre d’Indépendance, les deux familles (Bénakis et Horémis), originaires de Chios, ont subi les graves conséquences du massacre de l’île par les Turcs (1922). Pénélope passe ses années enfantines à Alexandrie, à Liverpool (siège de l’entreprise de son  père) et en Grèce (à Athènes, au Pirée et à Chios) pendant les périodes de vacances. Elle est profondément influencée par les récits historiques de sa grand-mère, de la famille Horémis, qui lui inspirent un amour profond et sincère pour la patrie. Ses parents sont sévères et distants et suivent pour leurs enfants le modèle d’instruction imposé dans leur milieu social: l’apprentissage des langues étrangères par des gouvernantes à domicile et l’enseignement du grec basé notamment sur la production littéraire de la langue savante (catharévoussa) qui est difficile et peu attractive aux petits enfants (Delta, 1980: 6-13). 

Dès son plus jeune âge, elle éprouve un grand amour pour les lettres et se distingue par ses capacités intellectuelles. Elle ne fréquente aucune école, elle prend des cours privés sur toutes les matières à domicile par des enseignants grecs et apprend le français et l’anglais par des gouvernantes étrangères. Comme elle raconte dans ses Premiers souvenirs (1980), elle déteste ses livres grecs, écrits en catharévoussa, parce qu’ils sont ennuyeux, didactiques et moralisateurs. Cependant, elle adore ses livres étrangers qui sont agréables et touchent à des sujets intéressants. C’est son expérience instructive qui va la pousser à s’occuper, plus tard, de la littérature de jeunesse ainsi que le besoin d’enrichir le monde des enfants grecs avec des livres écrits spécialement pour eux, en leur langue maternelle, la langue démotique (Delta, 1980: 27-28). 

 

Le mariage, la famille, l’amour inaccompli

À l’âge de 21 ans (en décembre 1895), elle épouse l’entrepreneur phanariote Stéphane Deltas et donne naissance à trois filles: Sophie (1896), Virginie (1897) et Alexandra (1900). Stéphane est un homme intelligent, fort instruit, libéral et partisan du «Courant pour l’imposition de la langue démotique». Sous son influence, Pénélope se familiarise avec les idées du courant démoticiste et commence à étudier la production littéraire de la langue démotique. La famille Delta vit d’abord à Athènes mais après la guerre désastreuse de 1897 (à laquelle Stéphane a pris part), s’installe à Alexandrie où Stéphane est embauché à l’entreprise Bénaki-Horémi (Zannas, 1999. Koumarianou, 1984: 57. Picramenou, 2012: 110-133).

En 1905, Pénélope rencontre Ion Dragoumis, vice-consul de Grèce à Alexandrie. Il s’agit d’un intellectuel libéral, engagé dans la défense de la cause des Grecs de Macédoine. D’abord, elle se lie d’amitié avec lui et reçoit sa profonde influence sur des questions politiques, nationales et linguistiques. Après quelque temps, elle commence une liaison tumultueuse avec lui, mais ne pouvant résister ni aux conventions sociales ni au sentiment du devoir envers son époux et ses enfants, elle prend la décision de se séparer de lui, en 1908. Durant cette même période, étant dans une impasse sentimentale et morale, elle fait deux tentatives de suicide. Son amour passionnel et inaccompli pour Dragoumis va l’accompagner jusqu’à la fin de sa vie et va constituer le principal moteur de son activité d’écrivain (Picramenou, 2012: 134-215. Zannas, 1999).

 

Une carrière d’écrivain dans des années agitées de l’histoire grecque

En 1906, Pénélope adhère au courant démoticiste et entretient une correspondance avec ses pionniers (Psycharis, Photiadis, Pallis). Une année plus tard, son ami linguiste et défenseur de la langue démotique, Manolis Triantaphyllidis lui fait la connaissance de la nouvelle génération des démoticistes: Alexandre Delmouzos, Dimitri Glinos, Photos Politis. En 1909, elle devient membre de la «Société Folklorique» et en 1910 membre de l’ «Association pour l’Enseignement» qui lutte pour la réforme de l’école grecque par l’introduction de l’enseignement de la langue démotique et par le changement des méthodes et des programmes scolaires (Delta, 19972: 351-360, 202-212. Picramenou, 2012 : 250-251, 265-266. Zannas 1999).

En 1906, la famille Delta s’installe à Francfort où Stéphane dirige, pendant sept ans, le département de la maison Bénaki-Horémi de l’Europe Centrale. Un peu avant les guerres balkaniques, Pénélope commence à écrire des contes et des romans historiques, spécialement destinés à la jeunesse, qui comportent une forte dose de romantisme patriotique. En effet, elle essaie de sensibiliser les jeunes à des questions historiques et de forger leur sentiment national. Dans ses livres elle défend l’idéal national de la «Grande Idée» qui vise à unir tous les Grecs dans un seul État-Nation ayant capitale la ville historique de l’Hellénisme, Constantinople. Sa carrière d’écrivain commence en 1909 lorsqu’elle fait paraître, dans la revue Peuple dirigée par l’auteur démoticiste Photis Photiadis, ses deux premiers contes: Conte du nouvel an et Douleur d’enfant (Delta 19972: 90-92. Picramenou, 2012: 241-243. Zannas, 2009).

Dans les années suivantes, influencée par les guerres balkaniques (1912-1913), elle montre un intérêt particulier pour l’étude de l’histoire de l’Empire Byzantin et correspond souvent avec les byzantinistes français G. Schlumberger et G. Millet, afin d’acquérir davantage de connaissances concernant Byzance. Ses premiers romans Pour la patrie (1909) et À l'époque du Pourfendeur de Bulgares (1911) sont inspirés par ses recherches historiques. Son troisième roman Un conte sans nom (1911) est inspiré par le coup d’état de Goudi (1909) exigeant le redressement immédiat de l’armée et de l’état et amène au pouvoir l’homme politique crétois Elefthérios Venizélos qui commence une importante réforme politique, sociale et économique. En mai 1912, à Alexandrie, Pénélope fait la connaissance du premier ministre Venizélos et entreprend avec lui une correspondance qui dure jusqu’à la mort de celui-ci, en 1936 (Delta, 19972: 220-222, Delta, 2002).

En 1913, le bureau de la maison Horémis–Bénakis à Frankfort, où travaille Stéphane Deltas, ferme et la famille retourne de nouveau à Alexandrie. C’est pendant cette époque que Pénélope commence à collaborer à des revues littéraires grecques et participe activement à l’ «Association pour l’Enseignement». Cette dernière activité renforce son souci pour l’éducation et l’enseignement des enfants grecs. En 1911, elle publie dans le Bulletin de l’Association pour l’Enseignement (vol. 1) son étude «Méditations sur l’éducation de nos enfants», dans laquelle elle n’approuve pas la violence ni la punition envers les enfants et propose une nouvelle méthode d’éducation conforme aux nouvelles données de la psychologie de l’enfant et aux exigences de la science pédagogique (Delta, 19972: 240-245. Picramenou, 2012: 248-281).

Dès 1915, elle se met à recueillir des documents concernant la lutte des Grecs pour le rattachement de la Macédoine au royaume grec (des rapports, des témoignages et des mémoires des combattants de la lutte macédonienne) en étudiant systématiquement les archives du Ministère des Affaires Etrangères. Ses recherches historiques donnent la matière à ses deux romans : Le voyou (1935), se référant aux aventures amusantes d’un petit chien adopté par une famille grecque d’Alexandrie, et Les secrets du Marais (1937) dont l’histoire se déroule autour du lac de Giannitsa pendant la période des conflits macédoniens Il est à souligner qu’elle travaille toujours avec méthode et persévérance ayant pris conscience de sa responsabilité d’historienne de son temps. Cette même époque, elle encourage les généraux de l’armée grecque N. Grigoriadis, C. Manetas, N. Plastiras à écrire leurs mémoires de guerre «au nom de l’histoire nationale» (Picramenou, 2012: 438-444. Delta, 1979: 95-96).

 

Les idées politiques et éducatives

En Septembre 1916, la famille Delta abandonne Alexandrie et s’installe définitivement à Athènes, dans la banlieue de Kifissia. Le père de Pénélope Emmanuel Bénakis, installé à Athènes depuis 1910, s’occupe de la politique et devient ministre des Finances au premier gouvernement libéral venizéliste de 1910 et maire d’Athènes en 1916. De leur retour en Grèce, Stéphane et Pénélope se lient d’amitié avec Venizélos qu’ils reçoivent très souvent à leur maison à Kifissia (Picramenou, 2012 : 305-306, 332).

Pendant la première guerre mondiale la Grèce est secouée par l’affrontement des libéraux de Venizélos qui sont favorables à la Triple Entente et des partisans de la neutralité, rassemblés autour du roi germanophile Constantin I. Durant les événements de Novembre 1916 , Emmanuel Bénakis est arrêté, blessé et emprisonné par les royalistes. Dans ces conditions, Pénélope détruit son journal intime où décrit les événements politiques, mais continue à suivre de près tous les épisodes entre les conservateurs monarchistes et les libéraux vénizélistes qui entraînent le Schisme National. Dès lors, elle abandonne ses idées monarchiques et devient partisane fanatique de Venizélos considérant que celui-ci est le seul homme politique qui peut redresser la Grèce et guider le peuple vers l’accomplissement de ses aspirations. En outre, elle défend avec vigueur la politique éducative de Venizélos qui, depuis 1912, s’applique à réaliser une réforme radicale de l’enseignement en prenant des mesures pour la réorganisation du système scolaire et l’adoption de la langue démotique à l’école primaire. Elle contribue à la réforme éducative de 1917-1920  avec son étude critique sur les nouveaux manuels de lecture de l’école primaire, publiée dans le Bulletin de l’Association pour l’Enseignement (vol. 7: 1919 et vol. 8: 1920) (Picramenou, 2012 : 333-341. Delta, 1919, 1920). 

En 1920, l’assassinat de son grand amour Ion Dragoumis par des militants venizélistes la remplit de douleur. Mais, malgré son drame personnel, elle continue à participer aux débats d’idées de son temps et lutter pour l’imposition de la langue démotique à l’enseignement grec en offrant son soutien moral et matériel aux activités des démoticistes (Delta, 19972: 267, 276). En 1922, elle éprouve un vif sentiment de colère mêlé de déception pour la défaite militaire grecque en Asie Mineure et s’engage, avec son père Emmanuel Bénakis, dans le secours et le rétablissement des réfugiés Micrasiates, qui arrivent massivement des patries perdues. Durant la même période, elle fait la connaissance du général libéral Nicolas Plastiras (chef de la Révolution du 11 septembre 1922 imposée par l’armée après les désastres de l’Asie Mineure) et entretient une correspondance avec lui pendant quinze ans (1922-1937). Après une longue période de crise et d’instabilité politique, Venizélos reprend enfin le pouvoir, en 1928. Pénélope croit qu’il est nécessaire que les deux hommes politiques qu’elle admire, Venizélos et Plastiras, travaillent en collaboration pour le relèvement de la Grèce. Mais ses espérances ne se réalisent pas à cause de la défaite du parti venizéliste aux élections (1932), la tentative d’assassinat contre Venizélos (1933) et l’échec du mouvement militaire de Plastiras (1935). Ce dernier donne l’occasion aux adversaires de Venizélos de restaurer la royauté et d’imposer la dictature de Metaxas (1936). Dans son journal intime, Pénélope décrit, analyse et commente tous les événements politiques et présente le mode de vie et la mentalité d’une certaine classe sociale, en devenant, malgré elle, une vraie journaliste et historienne de son temps. Parallèlement, elle continue à écrire des livres pour les jeunes comme La Vie du Christ (1925), dédiée à sa mère, et la trilogie Jeunes Filles Grecques, commencée en 1927 et achevée en 1939, qui constitue son autobiographie. Un peu avant de mourir, elle reçoit par Philippe Dragoumis les journaux intimes et les documents d’archive de son frère Ion Dragoumis. Malgré sa maladie (paralysie des extrémités), elle arrive à ajouter presque mille pages de commentaires et de remarques sur les textes de son amour perdu (Picramenou 2012: 355-441, 445-446).

  

Une œuvre littéraire à succès durable

Pénélope Delta est une figure noble et représentative du courant d’idées de la première moitié du vingtième siècle. Il s’agit d’une personnalité riche, sensible et tourmentée qui, tout le long de sa vie, a un souci constant lié aux grands problèmes préoccupant la nation grecque. Son œuvre est d’une grande importance éducative et nationale et a contribué à la formation de l’identité nationale et de la conscience historique de plusieurs générations de Grecs. Le principal but de Delta est d’offrir aux enfants des moyens d’épanouissement, de les instruire, les amuser et leur inculquer de grands idéaux en évitant les conseils et les instructions. Les valeurs qu’elle cultive systématiquement dans ses livres sont: l’amour de la patrie, la lutte altruiste pour la liberté, la sincérité, l’honnêteté, l’héroïsme et le sacrifice. En effet, elle met toujours en scène des héros au cœur pur, malmenés mais enfin récompensés de leur vertu. La structure de ses livres est simple et d’habitude, en passant d’un chapitre à l’autre, l’histoire est récapitulée afin de rendre l’intrigue accessible, notamment aux petits enfants. Ses textes ont un style personnel qui repose sur la description vivante et rapide des situations et des événements et excite l’intérêt du lecteur. Elle utilise la langue démotique simple qui n’est pas chargée de mots rares ou abstraits. Le lecteur se plonge dans l’histoire du livre et le lit avec avidité, même s’il n’est pas toujours d’accord avec les idées exprimées. Ses livres continuent à paraître jusqu’à présent et sont largement lus par les enfants et les adolescents (Zannas, 2009. Koumarianou, 1984: 58). 

La correspondance de Pénélope Delta, publiée après sa mort par son petit fils Paul Zannas , couvre trente quatre ans: elle commence en 1906 et se prolonge jusqu’à l’éclatement de la guerre italo-grec en 1940. Ses textes épistolaires et ses journaux intimes constituent une source d’informations et de connaissances sur l’histoire de la Grèce de l’entre-deux-guerres, les protagonistes de la vie politique et culturelle et notamment sur la personnalité et le caractère de l’auteur (Zannas, 2009. Koumarianou, 1984: 58).

 

Vers le silence éternel

Depuis 1925 Pénélope souffre de paralysie des extrémités. Elle se bat avec courage contre sa maladie sans jamais arrêter d’écrire et de suivre les événements politiques et les tendances idéologiques de son temps. Puisque sa paralysie avance, elle se fait opérer à l’hôpital du Croix Rouge grec (1931) et de temps en temps elle voyage dans les pays européens pour consulter des médecins spécialistes. Quelques mois avant sa mort, elle suit avec angoisse les événements de la guerre italo-grec de 1940-1941 et offre son aide matérielle et morale aux soldats grecs qui se battent pour la défense de la patrie. En 1941, après la défaite grecque et l’entrée de l’armée allemande à Athènes, ne pouvant admettre l’idée de la patrie asservie, elle se donne la mort en prenant le poison qu’elle porte toujours sur elle. Elle est enterrée dans le jardin de sa maison à Kifissia. Sur la plaque funéraire est gravé, selon sa dernière demande, le mot «Silence» (Picramenou, 2012: 448-458. Zannas, 1999).

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Delta, P.S. (1919). Nos nouveaux manuels de lecture. Bulletin de l’Association pour l’Enseignement. Athènes: Hestia, vol. 7, p. 44-73.

Delta, P.S. (1920). Nos nouveaux manuels de lecture (Suite). Bulletin de l’Association pour l’Enseignement. Athènes: Hestia, vol. 8, p. 19-30.

Delta, P.S. (1979). Nicolas Plastiras. Sous la direction de P.A. Zannas. Athènes: Hermès.

Delta, P.S. (1980). Premiers souvenirs. Sous la direction de P.A. Zannas. Athènes: Hermès.

Delta, P.S. (19972). Correspondance 1906-1940. Sous la direction de X. Lefkoparidis. Athènes: Hestia.

Delta, P.S. (2002). Elefterios Venizélos. Calendrier, mémoires, témoignages, correspondance. Sous la direction de P.A. Zannas. Athènes: Hermès.

Fragoudaki, Α. (19864). Réforme éducative et intellectuels libéraux. Luttes sans résultats positifs et impasses idéologiques pendant la période de l’entre-deux-guerres. Athènes: Kedros.

Hatziiossif, Chr. (2009). Histoire de la Grèce du vingtième siècle. Aspects d’histoire politique et économique (1900-1940). Athènes: Vivliorama.

Gatos, G. (2003). La grande passion du «courant pour la démotique». 41 lettres de Glinos à Delmouzos. Athènes: Lettres Helléniques.

Koumarianou, C. (1984). Pénélope Delta. Papyrus-Larousse-Britannica. Athènes: Papyrus, vol. 20, p. 57-58.

Picramenou, M.S. (2012). La dame en noir. Athènes: Tetragono.

Zannas, A. (1999). Pénélope Delta. Sensible et créatrice jusqu’au silence du décès. Ta Nea, 29/10/1999. http://www.mani.org.gr/istor/mak/delta.htm. Consulté le 5/10/2012.

Zannas, A.P. (2009). Pénélope. S. Delta. Sa production littéraire. Elefterotypia, 15/5/2009. http://www.enet.gr/?i=news.el.article&id=44512. Consulté le 8/10/2012.

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