Par Marianthi Bella
Professeur du FLE
Les jeunes années et les premières influences
Elle voit le jour en 1874 à
Alexandrie, en Egypte . C’est le troisième enfant du riche marchand de coton
Emmanuel Bénakis et de Virginie Horémis . Pendant la Guerre d’Indépendance, les
deux familles (Bénakis et Horémis), originaires de Chios, ont subi les graves
conséquences du massacre de l’île par les Turcs (1922). Pénélope passe ses
années enfantines à Alexandrie, à Liverpool (siège de l’entreprise de son père) et en Grèce (à Athènes, au Pirée et à
Chios) pendant les périodes de vacances. Elle est profondément influencée par
les récits historiques de sa grand-mère, de la famille Horémis, qui lui
inspirent un amour profond et sincère pour la patrie. Ses parents sont sévères
et distants et suivent pour leurs enfants le modèle d’instruction imposé dans
leur milieu social: l’apprentissage des langues étrangères par des gouvernantes
à domicile et l’enseignement du grec basé notamment sur la production
littéraire de la langue savante (catharévoussa) qui est difficile et peu
attractive aux petits enfants (Delta, 1980: 6-13).
Dès son plus jeune âge, elle éprouve un grand amour pour les lettres et se
distingue par ses capacités intellectuelles. Elle ne fréquente aucune école,
elle prend des cours privés sur toutes les matières à domicile par des
enseignants grecs et apprend le français et l’anglais par des gouvernantes
étrangères. Comme elle raconte dans ses Premiers souvenirs (1980), elle déteste
ses livres grecs, écrits en catharévoussa, parce qu’ils sont ennuyeux,
didactiques et moralisateurs. Cependant, elle adore ses livres étrangers qui
sont agréables et touchent à des sujets intéressants. C’est son expérience
instructive qui va la pousser à s’occuper, plus tard, de la littérature de
jeunesse ainsi que le besoin d’enrichir le monde des enfants grecs avec des
livres écrits spécialement pour eux, en leur langue maternelle, la langue
démotique (Delta, 1980: 27-28).
Le mariage, la famille, l’amour inaccompli
À l’âge de 21 ans (en décembre 1895), elle épouse l’entrepreneur phanariote
Stéphane Deltas et donne naissance à trois filles: Sophie (1896), Virginie
(1897) et Alexandra (1900). Stéphane est un homme intelligent, fort instruit,
libéral et partisan du «Courant pour l’imposition de la langue démotique». Sous
son influence, Pénélope se familiarise avec les idées du courant démoticiste et
commence à étudier la production littéraire de la langue démotique. La famille
Delta vit d’abord à Athènes mais après la guerre désastreuse de 1897 (à
laquelle Stéphane a pris part), s’installe à Alexandrie où Stéphane est
embauché à l’entreprise Bénaki-Horémi (Zannas, 1999. Koumarianou, 1984: 57.
Picramenou, 2012: 110-133).
En 1905, Pénélope rencontre Ion Dragoumis, vice-consul de Grèce à
Alexandrie. Il s’agit d’un intellectuel libéral, engagé dans la défense de la
cause des Grecs de Macédoine. D’abord, elle se lie d’amitié avec lui et reçoit
sa profonde influence sur des questions politiques, nationales et
linguistiques. Après quelque temps, elle commence une liaison tumultueuse avec
lui, mais ne pouvant résister ni aux conventions sociales ni au sentiment du
devoir envers son époux et ses enfants, elle prend la décision de se séparer de
lui, en 1908. Durant cette même période, étant dans une impasse sentimentale et
morale, elle fait deux tentatives de suicide. Son amour passionnel et
inaccompli pour Dragoumis va l’accompagner jusqu’à la fin de sa vie et va
constituer le principal moteur de son activité d’écrivain (Picramenou, 2012:
134-215. Zannas, 1999).
Une carrière d’écrivain dans des années agitées de
l’histoire grecque
En 1906, Pénélope adhère au courant démoticiste et entretient une
correspondance avec ses pionniers (Psycharis, Photiadis, Pallis). Une année
plus tard, son ami linguiste et défenseur de la langue démotique, Manolis
Triantaphyllidis lui fait la connaissance de la nouvelle génération des
démoticistes: Alexandre Delmouzos, Dimitri Glinos, Photos Politis. En 1909,
elle devient membre de la «Société Folklorique» et en 1910 membre de l’
«Association pour l’Enseignement» qui lutte pour la réforme de l’école grecque
par l’introduction de l’enseignement de la langue démotique et par le
changement des méthodes et des programmes scolaires (Delta, 19972: 351-360,
202-212. Picramenou, 2012 : 250-251, 265-266. Zannas 1999).
En 1906, la famille Delta s’installe à Francfort où Stéphane dirige,
pendant sept ans, le département de la maison Bénaki-Horémi de l’Europe Centrale.
Un peu avant les guerres balkaniques, Pénélope commence à écrire des contes et
des romans historiques, spécialement destinés à la jeunesse, qui comportent une
forte dose de romantisme patriotique. En effet, elle essaie de sensibiliser les
jeunes à des questions historiques et de forger leur sentiment national. Dans
ses livres elle défend l’idéal national de la «Grande Idée» qui vise à unir
tous les Grecs dans un seul État-Nation ayant capitale la ville historique de
l’Hellénisme, Constantinople. Sa carrière d’écrivain commence en 1909
lorsqu’elle fait paraître, dans la revue Peuple dirigée par l’auteur
démoticiste Photis Photiadis, ses deux premiers contes: Conte du nouvel an et
Douleur d’enfant (Delta 19972: 90-92. Picramenou, 2012: 241-243. Zannas, 2009).
Dans les années suivantes, influencée par les guerres balkaniques
(1912-1913), elle montre un intérêt particulier pour l’étude de l’histoire de
l’Empire Byzantin et correspond souvent avec les byzantinistes français G.
Schlumberger et G. Millet, afin d’acquérir davantage de connaissances
concernant Byzance. Ses premiers romans Pour la patrie (1909) et À l'époque du
Pourfendeur de Bulgares (1911) sont inspirés par ses recherches historiques.
Son troisième roman Un conte sans nom (1911) est inspiré par le coup d’état de
Goudi (1909) exigeant le redressement immédiat de l’armée et de l’état et amène
au pouvoir l’homme politique crétois Elefthérios Venizélos qui commence une
importante réforme politique, sociale et économique. En mai 1912, à Alexandrie,
Pénélope fait la connaissance du premier ministre Venizélos et entreprend avec
lui une correspondance qui dure jusqu’à la mort de celui-ci, en 1936 (Delta,
19972: 220-222, Delta, 2002).
En 1913, le bureau de la maison Horémis–Bénakis à Frankfort, où travaille
Stéphane Deltas, ferme et la famille retourne de nouveau à Alexandrie. C’est
pendant cette époque que Pénélope commence à collaborer à des revues
littéraires grecques et participe activement à l’ «Association pour
l’Enseignement». Cette dernière activité renforce son souci pour l’éducation et
l’enseignement des enfants grecs. En 1911, elle publie dans le Bulletin de
l’Association pour l’Enseignement (vol. 1) son étude «Méditations sur
l’éducation de nos enfants», dans laquelle elle n’approuve pas la violence ni
la punition envers les enfants et propose une nouvelle méthode d’éducation
conforme aux nouvelles données de la psychologie de l’enfant et aux exigences
de la science pédagogique (Delta, 19972: 240-245. Picramenou, 2012: 248-281).
Dès 1915, elle se met à recueillir des documents concernant la lutte des
Grecs pour le rattachement de la Macédoine au royaume grec (des rapports, des
témoignages et des mémoires des combattants de la lutte macédonienne) en
étudiant systématiquement les archives du Ministère des Affaires Etrangères.
Ses recherches historiques donnent la matière à ses deux romans : Le voyou
(1935), se référant aux aventures amusantes d’un petit chien adopté par une famille
grecque d’Alexandrie, et Les secrets du Marais (1937) dont l’histoire se
déroule autour du lac de Giannitsa pendant la période des conflits macédoniens
Il est à souligner qu’elle travaille toujours avec méthode et persévérance
ayant pris conscience de sa responsabilité d’historienne de son temps. Cette
même époque, elle encourage les généraux de l’armée grecque N. Grigoriadis, C.
Manetas, N. Plastiras à écrire leurs mémoires de guerre «au nom de l’histoire
nationale» (Picramenou, 2012: 438-444. Delta, 1979: 95-96).
Les idées politiques et éducatives
En Septembre 1916, la famille Delta abandonne Alexandrie et s’installe
définitivement à Athènes, dans la banlieue de Kifissia. Le père de Pénélope
Emmanuel Bénakis, installé à Athènes depuis 1910, s’occupe de la politique et
devient ministre des Finances au premier gouvernement libéral venizéliste de
1910 et maire d’Athènes en 1916. De leur retour en Grèce, Stéphane et Pénélope
se lient d’amitié avec Venizélos qu’ils reçoivent très souvent à leur maison à
Kifissia (Picramenou, 2012 : 305-306, 332).
Pendant la première guerre mondiale la Grèce est secouée par l’affrontement
des libéraux de Venizélos qui sont favorables à la Triple Entente et des
partisans de la neutralité, rassemblés autour du roi germanophile Constantin I.
Durant les événements de Novembre 1916 , Emmanuel Bénakis est arrêté, blessé et
emprisonné par les royalistes. Dans ces conditions, Pénélope détruit son
journal intime où décrit les événements politiques, mais continue à suivre de
près tous les épisodes entre les conservateurs monarchistes et les libéraux
vénizélistes qui entraînent le Schisme National. Dès lors, elle abandonne ses
idées monarchiques et devient partisane fanatique de Venizélos considérant que
celui-ci est le seul homme politique qui peut redresser la Grèce et guider le
peuple vers l’accomplissement de ses aspirations. En outre, elle défend avec
vigueur la politique éducative de Venizélos qui, depuis 1912, s’applique à
réaliser une réforme radicale de l’enseignement en prenant des mesures pour la
réorganisation du système scolaire et l’adoption de la langue démotique à
l’école primaire. Elle contribue à la réforme éducative de 1917-1920 avec son étude critique sur les nouveaux
manuels de lecture de l’école primaire, publiée dans le Bulletin de
l’Association pour l’Enseignement (vol. 7: 1919 et vol. 8: 1920) (Picramenou,
2012 : 333-341. Delta, 1919, 1920).
En 1920, l’assassinat de son grand amour Ion Dragoumis par des militants
venizélistes la remplit de douleur. Mais, malgré son drame personnel, elle
continue à participer aux débats d’idées de son temps et lutter pour
l’imposition de la langue démotique à l’enseignement grec en offrant son
soutien moral et matériel aux activités des démoticistes (Delta, 19972: 267,
276). En 1922, elle éprouve un vif sentiment de colère mêlé de déception pour
la défaite militaire grecque en Asie Mineure et s’engage, avec son père
Emmanuel Bénakis, dans le secours et le rétablissement des réfugiés
Micrasiates, qui arrivent massivement des patries perdues. Durant la même
période, elle fait la connaissance du général libéral Nicolas Plastiras (chef
de la Révolution du 11 septembre 1922 imposée par l’armée après les désastres
de l’Asie Mineure) et entretient une correspondance avec lui pendant quinze ans
(1922-1937). Après une longue période de crise et d’instabilité politique,
Venizélos reprend enfin le pouvoir, en 1928. Pénélope croit qu’il est
nécessaire que les deux hommes politiques qu’elle admire, Venizélos et
Plastiras, travaillent en collaboration pour le relèvement de la Grèce. Mais
ses espérances ne se réalisent pas à cause de la défaite du parti venizéliste
aux élections (1932), la tentative d’assassinat contre Venizélos (1933) et
l’échec du mouvement militaire de Plastiras (1935). Ce dernier donne l’occasion
aux adversaires de Venizélos de restaurer la royauté et d’imposer la dictature
de Metaxas (1936). Dans son journal intime, Pénélope décrit, analyse et
commente tous les événements politiques et présente le mode de vie et la
mentalité d’une certaine classe sociale, en devenant, malgré elle, une vraie
journaliste et historienne de son temps. Parallèlement, elle continue à écrire
des livres pour les jeunes comme La Vie du Christ (1925), dédiée à sa mère, et
la trilogie Jeunes Filles Grecques, commencée en 1927 et achevée en 1939, qui
constitue son autobiographie. Un peu avant de mourir, elle reçoit par Philippe
Dragoumis les journaux intimes et les documents d’archive de son frère Ion
Dragoumis. Malgré sa maladie (paralysie des extrémités), elle arrive à ajouter
presque mille pages de commentaires et de remarques sur les textes de son amour
perdu (Picramenou 2012: 355-441, 445-446).
Une œuvre littéraire à succès durable
Pénélope Delta est une figure noble et représentative du courant d’idées de
la première moitié du vingtième siècle. Il s’agit d’une personnalité riche,
sensible et tourmentée qui, tout le long de sa vie, a un souci constant lié aux
grands problèmes préoccupant la nation grecque. Son œuvre est d’une grande
importance éducative et nationale et a contribué à la formation de l’identité
nationale et de la conscience historique de plusieurs générations de Grecs. Le
principal but de Delta est d’offrir aux enfants des moyens d’épanouissement, de
les instruire, les amuser et leur inculquer de grands idéaux en évitant les
conseils et les instructions. Les valeurs qu’elle cultive systématiquement dans
ses livres sont: l’amour de la patrie, la lutte altruiste pour la liberté, la
sincérité, l’honnêteté, l’héroïsme et le sacrifice. En effet, elle met toujours
en scène des héros au cœur pur, malmenés mais enfin récompensés de leur vertu.
La structure de ses livres est simple et d’habitude, en passant d’un chapitre à
l’autre, l’histoire est récapitulée afin de rendre l’intrigue accessible,
notamment aux petits enfants. Ses textes ont un style personnel qui repose sur
la description vivante et rapide des situations et des événements et excite
l’intérêt du lecteur. Elle utilise la langue démotique simple qui n’est pas
chargée de mots rares ou abstraits. Le lecteur se plonge dans l’histoire du livre
et le lit avec avidité, même s’il n’est pas toujours d’accord avec les idées
exprimées. Ses livres continuent à paraître jusqu’à présent et sont largement
lus par les enfants et les adolescents (Zannas, 2009. Koumarianou, 1984: 58).
La correspondance de Pénélope Delta, publiée après sa mort par son petit
fils Paul Zannas , couvre trente quatre ans: elle commence en 1906 et se
prolonge jusqu’à l’éclatement de la guerre italo-grec en 1940. Ses textes
épistolaires et ses journaux intimes constituent une source d’informations et
de connaissances sur l’histoire de la Grèce de l’entre-deux-guerres, les
protagonistes de la vie politique et culturelle et notamment sur la
personnalité et le caractère de l’auteur (Zannas, 2009. Koumarianou, 1984: 58).
Vers le silence éternel
Depuis 1925 Pénélope souffre de paralysie des extrémités. Elle se bat avec
courage contre sa maladie sans jamais arrêter d’écrire et de suivre les
événements politiques et les tendances idéologiques de son temps. Puisque sa
paralysie avance, elle se fait opérer à l’hôpital du Croix Rouge grec (1931) et
de temps en temps elle voyage dans les pays européens pour consulter des
médecins spécialistes. Quelques mois avant sa mort, elle suit avec angoisse les
événements de la guerre italo-grec de 1940-1941 et offre son aide matérielle et
morale aux soldats grecs qui se battent pour la défense de la patrie. En 1941,
après la défaite grecque et l’entrée de l’armée allemande à Athènes, ne pouvant
admettre l’idée de la patrie asservie, elle se donne la mort en prenant le
poison qu’elle porte toujours sur elle. Elle est enterrée dans le jardin de sa
maison à Kifissia. Sur la plaque funéraire est gravé, selon sa dernière
demande, le mot «Silence» (Picramenou, 2012: 448-458. Zannas, 1999).
BIBLIOGRAPHIE
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Athènes: Hermès.
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témoignages, correspondance. Sous la direction de P.A. Zannas. Athènes: Hermès.
Fragoudaki, Α. (19864). Réforme éducative et intellectuels libéraux. Luttes
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Hatziiossif, Chr. (2009). Histoire de la Grèce du vingtième siècle. Aspects
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du décès. Ta Nea, 29/10/1999. http://www.mani.org.gr/istor/mak/delta.htm.
Consulté le 5/10/2012.
Zannas, A.P. (2009). Pénélope. S. Delta. Sa production littéraire.
Elefterotypia, 15/5/2009. http://www.enet.gr/?i=news.el.article&id=44512.
Consulté le 8/10/2012.
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